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 Le Chevalier de l'Aube.

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Goetys
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Goetys


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MessageSujet: Le Chevalier de l'Aube.   Le Chevalier de l'Aube. Icon_minitimeLun 2 Mai - 0:27


Le Chevalier de l'Aube.

22h32 ... La nuit s’est installée sur Québec traînant à sa suite son cortège éclectique d’originaux et d’anarchistes. Dans la vieille partie de la ville les rues sont le théâtre d’un curieux changement d’auspices; les trottoirs tantôt lourds de touristes accueillent peu à peu une foule plus locale; par petites meutes, les chevaliers de la nuit parfont la reconquête de leurs contrées. Aux portes des boutiques de souvenirs, les marchands verrouillent leurs avoirs derrière des rideaux rivetés en jetant des regards nerveux aux passants. Certains de ces barons du négoce ont guerroyé depuis le midi pour faire avancer leur cause. Il est temps pour eux de se presser vers des banlieues peintes de manoirs et de toutous. Dans certains restaurants on commence à fermer les cuisines; les serveurs comptent derrière leurs comptoirs leurs pourboires de la journée. L’armée du soleil terminera bientôt une retraite calculée et rendra les décors urbains à ses rivaux afin de récupérer de leurs joutes quotidiennes. Ils quittent tels les paquebots titanesques d’une époque oubliée.

Et dans leurs sillages avancent les pages étoilés. Ils sont beaux et terrifiants, parés de symboles funestes brillants, armés d’insultes craquantes et d’utopies sans nuances. Curieusement, ils sont à la fois colorés comme les flammes des enfers et nimbés du noir des rancœurs. Ils sont les saltimbanques d’une coure échevelée. La cohorte joyeuse est un ensemble organique où chacun de ses membres est le roi de son domaine. Ils marchent sans maître, sans but, sans fin, emplissent la belle cité par tous ses pores.

C’est à cette heure où les mondes se rencontrent et se chevauchent que je me retrouve à arpenter cinq soirs par semaine les pentes de la vieille ville. Levé comme la Lune depuis quelques heures à peine, je tends à m’associer dans mes rêves de jeunesse éternelle à ces champions de la nuit. Malgré des années à tenter de m’assagir mon passé de poète berce toujours en moi cette danse qui saoule parfois la raison.

Je fus en mon temps légende chez ces fous nocturnes. C’est toutefois une tout autre quête que la leur qui m’emmène à présent par ici. Au fil des ans le poète en moi s’est endormi. Car bien que j’arpente ces mondes loin des rayons du soleil mes buts sont beaucoup moins ludiques que ceux de mes compagnons imaginaires. Je travaille de nuit, prêchant malgré moi par mes actes des valeurs solaires arrachées dans les jardins d’un autre monde.

Depuis maintenant un peu plus de deux ans je suis à l’emploi d’un hôtel chic de la ville de Québec. Je fus embauché à l’origine comme monteur de salle mais une série de circonstances m’a permis de décrocher au bout de huit mois la position de chef de l’équipe de nuit, un poste assez payant vu son horaire difficile. Certaines personnes ont du mal à s’adapter à un rythme de vie nocturne mais je n’ai pour ma part jamais souffert de ces maux.

Traverser dans le monde crépusculaire n’a pas été une épreuve digne de ce nom. Les vestiges de mon esprit bohême ont même accueilli avec soulagement ce changement de carrière, voyant dans ce revirement la promesse voilée d’une résurrection qui n’est jamais venue. Malgré cette plage horaire à contre-courant je suis resté tel quel, un homme d’idées ayant laissé derrière lui ses années de chaos au profit d’une certaine paix d’âme que la rue ne peut apporter. Loin d’être un de ces morts-vivants qui enligne les heures entre neuf et cinq heures, j’ai toutefois pris plaisir à goûter pour la première fois de ma vie la stabilité d’un revenu plus régulier. Ma flamme rebelle ne s’est pas éteinte, elle s’est seulement mesurée afin de briller plus longtemps sinon avec autant d’intensité qu’autrefois.

J’assaille ce soir la place en compagnie d’une équipée hétéroclite de chevaliers nocturnes. Je sort de l’autobus avec un groupe turbulent, une douzaine de matamores espiègles aux projets peu louables. Ces jeunes pirates ont fière allure; les longs manteaux noirs de certains sont hérissés de pointes tandis que d’autres, plus pimpants, paradent des atours dignes de grands fauves de légendes. Ce soir cette jungle de béton est leur.

Sans doute confondu pour l’un d’eux malgré la sobriété de mon costume, j’évite avec le sourire les regards mesquins de leurs adversaires symboliques. Des cravates me dépassent, les lèvres pincées. Des complets et des tailleurs grimpent dans l’autobus surchauffé. Je croise sur les quais de la Place d’Youville ces précieux hommes d’affaires sans me reconnaître en eux, emporté par le mouvement de masse des chenapans galvanisés par les promesses d’un vendredi soir de fête et d’excès.

Poussé par le hasard de la route, je suis cette chevauchée vers les portes de pierre qui marquent l’entrée du théâtre âgé qu’est la vieille ville, ce nœud d’allées étroites que l’on nomme aussi le Quartier Latin.

Il est 22h32. Le vent cinglant a chassé avec une ardeur égale les degrés accumulés durant le jour et les poignées de visiteurs venus admirer les joies hivernales. Seuls quelques visages étrangers s’attardent encore dans les rues sinueuses de ce dédale de vieilles pierres. Même les anarchistes colorés se sont faits rares. La vague avec laquelle je me suis extirpé de l’autobus s’est diluée au fil des rues pour rejoindre la chaleur d’un appartement enfumé ou d’un des nombreux squats qui pullulent en secret dans les recoins de ce joyau historique. La rue Saint-Jean a progressivement dilué la foule des chevaliers excités. Plus haut, sur la Côte de la Fabrique, arrivé à proximité de l’hôtel de ville, je me retrouve complètement seul. Nul apache urbain n’est perché sur la rue, nul touriste n’en admire les vitrines illuminées.

Je m’immobilise, étonné de cette absence de plèbe, et je prends en silence la mesure du soir. Paisible, j’écoute en moi le chant de la cité. La Lune pleine à rebord est ma seule compagne. Je sens de mon âme la rumeur d’une de ces soirées magiques où tout devient possible. Un bouillon d’opportunités vogue sur la tourmente, une énergie démentielle ouverte sur tous les mondes. Émergeant des eaux troubles de mon passé, ce rythme du Cosmos vient chatouiller mon esprit pourtant tranquille. Mon emploi, mes devoirs, mes projets deviennent autant d’assises auxquelles je dois m’accrocher pour éviter d’être emporté.

Il fut un temps où, bon soldat, j’eus bondi à la moindre allusion à ce chant de possibilités sauvages. Il fut un temps où j’eus été le champion de ces forces primaires, l’oriflamme même de ces valeurs lyriques tant prisées. C’était il y a des années de ça. Aujourd’hui je suis le vétéran qui entend la fanfare sans pouvoir y joindre son pas, celui qui entend le clairon sans pouvoir prendre les armes.

Seul sous les jeux du vent je capte cet appel. Pour un instant j’envisage sans m’y leurrer complètement l’idée de bifurquer de ma route. Il serait si facile de ne pas rentrer travailler. Ma fiche de conduite impeccable ne soulèverait aucun doute tant à la validité de mes excuses, la pertinence de mes raisons. Mes mensonges seraient couverts sans effort. Qu’il serait doux de repartir en chasse. Je ne resterais pas longtemps un cavalier solitaire. Par le passé la nuit ne m’a laissé seul que lorsque je le lui ai demandé. Des dizaines de traqueurs arpenteraient bientôt mes pistes. Mon armée serait légendes; elle l’a toujours été.

Quelques flocons épars font la course dans la lumière rosée des réverbères. Ce sont peut-être les derniers de l’hiver. Le printemps n’est plus très loin.

Chaque jour de cette semaine j’ai vu la petite place enneigée située devant l’hôtel de ville dévoiler davantage ses régions de gazon couleur café. Bientôt cette belle métisse aura tant dévoilé ses charmes que ses châles blancs ne seront plus qu’un prétexte à la pudeur. La zone dégagée est une bouffée de fraîcheur dans les méandres serrés du dessin urbain. Elle tranche sur l’humeur parfois autoritaire de l’ancien cœur de Québec. Le profil droit et franc du quartier fait d’elle une beauté classique. Autour de cette Esméralda se dressent en effet les immeubles d’un autre âge, cardinaux indignés et dignitaires gourmands d’un monde disparu. L’architecture arrachée au passé berce mon œil fantaisiste et je laisse mon délire m’emporter.

Je ferme un instant les yeux.

De l’autre côté de la place à demi dénudée un jeune homme solitaire attire mon attention. Il est vêtu d’un manteau beige qui descend jusque sous le genou et porte à son cou une longue écharpe de laine. Le col de son paletot est relevé aussi je ne peux deviner avec précision ses traits. Ses cheveux couleur de sable sont un fouillis de boucles en bataille qui voile presque ses yeux. J’ignore d’où il est sorti ou depuis combien de temps il m’observe ainsi mais je ne m’en inquiète pas. Je devine de lui une impression amicale, une étrange complicité qui ne peut être expliquée en quelques mots.

Je sais qu’il me sourit. Je devine dans son expression béate qu’il nage comme moi sur le chant de la ville gonflée de promesses. Il est de ceux qui voient, de ceux qui cherchent, de ceux qui savent.

Dans l’espace ouvert entre nous la neige balaye la scène d’un élan presque horizontal. Les bourrasques furieuses qui ont chassé les armées nocturnes vers leurs forteresses secrètes dominent le moment. Multipliées par la poignée de lanternes électriques, les ombres mouvantes des arbres balancés par le vent dessinent sur le sol des fresques d’une beauté irréelle. Je reconnais sur les airs du destin la promesse d’un défi, l’ombre d’une épreuve qui s’amorce. Ce pôle de forces instigatrices cherche à m’écarter des buts que je me suis fixé. Saurais-je résister longtemps à ses promesses fantastiques?

Frères dans l’intention, nous avançons d’un même pas tel deux chevaliers sur le champ des gloires. Il est fier et droit, dressé comme un obélisque d’or dans les jardins d’un temple mercurien. Ses idées sont sa monture; agitées d’une énergie folle elles piaffent avec excitation la terre sur laquelle elles galopent. Son armure est sa foi innocente, carapace lumineuse forgée d’immortalité et d’intensité fiévreuse. Je sais que son arme est une épée de charisme magnétique capable de trancher les plus ardentes résolutions. Bien qu’il soit paré des couleurs des légions solaires je devine sur le cœur de ce Lancelot les symboles de la nuit. Adoubé le midi, il a choisi de troquer ses allégeances pour sertir son front du cerceau de la lune.

Je comprends que son œil comme le mien brille dans l’astral d’une étincelle divine. Mon compagnon sait percevoir mon armure d’argent fuyant, mon vieux sabre de conviction affûtée et mes éperons de sagesse aux pointes mordantes. Mon destrier n’est plus tout jeune et nul autre outil ne sait le pousser à grands galops mais une fois qu’il s’est lancé la course de ce splendide animal ne peut être stoppée. Il ne regarde jamais derrière lui et ne se soucie pas des distractions éloignées; il est bête de présent, palefroi de l’immédiat. Bien que la matière argentée de ma cuirasse et la forme recourbée de mon arme témoignent de mon passé lunaire, je devine que l’autre reconnaît à mes armoiries la chaleur dorée de mes idéaux.

Il dégaine le premier, sans malice, sans rancœur, et je réponds à l’invitation avec indulgence. Jouter ainsi n’éveille plus en moi grand intérêt. Je laisse normalement ces jeux d’égo aux jeunesses plus aguerries. Croyant me surprendre, il me salue d’emblée d’une manœuvre éclatante. Il s’introduit comme le maître de cette soirée de magie, faisant fi du voile occulte duquel on vêt communément tout ce qui touche ces sujets relégués aux mystères de l’intangible. Je lui répond, placide, que bien qu’il soit roi de son monde je ne suis point de son royaume et n’est donc nullement soumis à ses édits et ses lois. Ma parade a l’effet voulu mais avant que le jeune flambeau ne puisse revenir à la charge je recule d’un pas et le remercie pour cette joute. Je m’incline et reconnaît avec grâce la pertinence de son ouverture cavalière mais lui ne veux pas lâcher prise.

Nos sourires se croisent et nos lames s’entrechoquent. Les sabots de nos montures labourent le sol gelé de maints sujets souvent laissés en friche mais en aucun moment l’un de nous parvient à déjouer complètement l’autre.

Bien qu’un adversaire redoutable, le jeune homme aux cheveux en bataille n’est pas aussi habile que le vétéran que le monde a fait de moi. Au fil de nos échanges j’arrive à l’entraîner le long des rues pour me rapprocher pas à pas de l’objet de ma quête. Lui guerroie sans se soucier de mes tactiques, certain que ses illusions de permanence l’aideront à prévaloir. Il m’avoue sans ciller croire aux forces de la magie et à l’existence de mondes merveilleux dissimulés aux détours de certaines rues, des mondes que l’on ne peut découvrir que lorsque l’heure est juste. Il me confie avoir visité certains d’entre eux, en craindre d’autres. Tournant dos à ma destination je lui cède volontiers du terrain, acquiesçant à chacun de ses points, écartant sans trop d’ennui la fatalité de ses assauts.

Après quelques moments de ces échanges stériles, agacé par l’impassibilité de mes réponses, le fils de midi baisse sa garde pour pousser une attaque audacieuse. Surpris par cette tactique je ne saisis pas immédiatement ma chance et le laisse gagner ascendance sur ma foi sans avoir le temps de le repousser.

Il me confie qu’il a déjà trouvé un tel endroit près d’ici. Il suggère une braderie de l’invisible, un bazar de l’improbable, et il partage avec moi le secret de ce lieux de passage avant que je puisse l’en empêcher. Ce savoir me brûle. Je trébuche presque. Je me mord les lèvres en enfonçant mon vieux sabre entre deux plaques de pavé afin d’éviter de chuter. Lui profite de l’occasion pour me décrire un marchand de rêves au sourire jaune et une chose féline venue d’un autre monde qui vend ses talents en échange d’une partie de roulette russe.

Une fièvre folle ricane en moi. Mes allégeances passées menacent mon équilibre comme la gravité cherche à m’affaler sur le sol.

J’ai tant visité de lieux semblables dans mes années de service sous la bannière de la nuit qu’ils se sont tous massés dans le paysage de mon histoire en un seul et unique ennemi aux proportions formidables. La suite incomptable de ces lieux impies n’est plus pour moi qu’une grande fête foraine devinée à travers les brumes de mes propres sortilèges. Les habitants énigmatiques de ces clairières de démence se sont fusionnés par nécessité en un seul visage d’illumination perverse.

Ma victoire sur ce titan d’onirisme libertin fut en soi une aventure épique qui s’étira sur des années de lutte intérieure. Cette victoire ne se fit qu’au prix de nombreux sacrifices, notamment celui de la plus grande part de mes souvenirs, de ceux concernant le temps d’avant ces combats. J’ai oublié des mois de ma vie. Ces nuits perdues se sont fondues en un maelstrom d’images diluées et d’impressions fugaces. Je sais seulement que quelque part dans ce fouillis qu’est mon passé s’est produit un déclic qui m’emmena à entreprendre cette croisade et déserter en mon cœur les valeurs de la Lune.

Mais, même au prix de grands sacrifices, je suis parvenu à chasser cette gorgone. Je suis aujourd’hui le maître de mes pensées, une âme solaire qui se retrouve à danser sur la musique de la nuit par force de circonstance. Tournant sur la pointe de mon sabre, mon esprit se redresse d’une pirouette agile qui pousse le jeune frisé à reculer. La pause est fugace. De nouveau face-à-face, nous étudions chacun notre adversaire avec un œil fort différent avant de reprendre d’un commun élan nos joutes d’esprit.

Je m’abandonne malgré moi, me laisse attirer dans le jeu. Sa manœuvre habile a fait plus que passer à un doigt de me désarçonner, elle a attisé les braises justicières qui brûlent en moi. Je donne maintenant de la bride à mes idées, les éperonne avec enthousiasme. Le bruit cinglant de notre duel monte contre les murs et emplit la rue d’une argumentation emportée. Nous disséquons ensemble la symbolique divine, trouvant vite de nombreux points communs dans nos constructions idéelles. D’une série de pointes savantes je l’aide à envisager sa place dans le monde sous un nouvel angle. Lui nourrit chez moi des songes oubliés, me rappelant que le monde meilleur que je cherche à engendrer est simplement là autour de moi.

C’est comme je commence à douter de pouvoir résister encore longtemps aux forces de cette nuit de magie que je trouve mon salut. Ces rêves utopiques propres à la jeunesse m’offrent la clé avec laquelle je parviens à mettre fin au duel. Le géant amnésique qu’est mon passé se retourne dans son sommeil et quelque part en moi s’échappe le détail d’une aventure puisée de mon adolescence. Je me souviens avoir visité près d’ici un bazar de l’étrange perdu entre deux univers, un lieu où il est possible de marchander son bon sens contre les savoirs interdits qui meuvent le monde. La nature du point de passage perce ma conscience.

Attrapant du regard l’attention de mon rival, je déclare sans préambule me souvenir de l’endroit. J’avoue me souvenir que ce jardin de délices n’est plus bien loin d’ici. J’explique qu’on y accède après avoir grimpé un long escalier au haut duquel un petit démon ridé vêtu d’un manteau noir monte normalement la garde. Je connais même son nom : Stash.

Mon assaut puissant a l’effet escompté. La monture du paladin doré se cabre et retraite le temps de rattraper la cadence. Je ne lui en laisse pas l’occasion et avance sans faillir.

Je lui décris l’endroit : un vieil appartement crasseux aux murs couverts de graffitis; un repère délabré où une bande de receleurs et d’escrocs fourguent leurs illusions contre l’espoir de pauvres innocents. Ce piège de toiles est bien un marché de rêves, je le lui consens, mais il oublie un détail important : ce sont ici les marchands qui empochent les denrées oniriques au profit de leurs clients. Les fous ne gagnent en retour que des révélations biaisées, des hallucinations qui dévoilent des univers troublants sans toutefois en expliquer les symboles. C’est pauvres choisissent de se laisser écorcher les sens en échange de leur assise sur ce monde.

Mon chevalier blond n’a d’autre choix que de céder à certains de mes assauts, cherchant en vain une ouverture dans mon argumentation. Désespéré, il tente le tout pour le tout et évoque les délices inconséquents de la chose féline qui loge dans sa caverne d’Ali Baba, un temple de la chair éclairé par une source d’énergie primordiale. Je reconnais la description des lieux, le nom de la pauvre créature. Cruel, je n’épargne plus ses masques dérisoires et décrit la vieille prostituée fatiguée pour ce qu’elle est, une aînée trop maquillée aux doigts jaunis par le tabac et l’usage. Esclave de ses envies lascives, elle fut poussée là par des hommes qui l’ont mal aimée. Je lui avoue avoir une fois vu cette épave à la lumière du jour et compris alors la raison de ses lampes tamisées.

Le guerrier d’or vacille. Je vois qu’il sent poindre pour la première fois ma conviction inébranlable lorsque je lui explique qu’il s’enlise. Participer à ce mouvement de destruction est contraire aux valeurs inspirées par la vie, le soleil. Cette danse effrite sa force. Il pâlit lorsque je lui révèle qu’elle s’oppose aussi à l’influence subtile des intuitions lunaires. Empâté de mirages, comment en effet discernera-t-il l’intuition de l’illusion?

Je partage avec lui une parcelle de sagesse que je crois avoir acquis au fil des ans, faisant voler son épée de sa main et l’acculant à un mur. La voie de l’idéal est avant tout la voie de l’équilibre, même lorsqu’il s’agit de l’équilibre lui-même. La vraie puissance est dans la réalisation du moment présent.

Désarmé, son charisme magnétique écarté à quelques pas, le jeune champion défait laisse tomber ses rennes. Comprenant qu’il s’apprête à descendre de sa monture pour se laisser à ma merci je retiens son geste et lui demande plutôt de rester en selle. Je ramasse son arme au poids familier et la lui remet en main avec un sourire sincère. Mes paroles sont ma seule explication : « L’équilibre commence par éviter les excès inutiles, ami. »

Émeu, des cristaux de larmes nichés aux coins des yeux, le guerrier saint range son épée et acquiesce en silence. Riche de ces enseignements il me salue sans dire un mot et s’éloigne dans la tourmente. Son dos est courbé mais c’est le poids de la sagesse soudaine qu’il porte ainsi. Bientôt il avancera droit comme un beffroi, volant presque d’avoir été libéré du lest de l’ignorance. Il ne se retourne qu’une fois pour m’envoyer la main, alors qu’il est sur le point de disparaître au bout d’une rue qui n’existe sans doute pas vraiment, et c’est en le voyant ainsi dans la distance de cette nuit de tourmente que je le reconnais enfin.

Je souris. J’ouvre les yeux. J’aime laisser mon délire m’emporter ainsi.

Je suis sur la place balayée par les vents. Une faible neige tourbillonne, poursuivant ses espoirs au gré des bourrasques. Il n’y a personne sur la place gelée.

Tout au fond de ma mémoire hachurée le titan de mes obsessions passées laisse s’échapper un nouveau fragment de mon histoire. Plus qu’une série d’images nappée d’un fil narratif cohérent, cette réminiscence est davantage une impression, non, presque une certitude.

Je me souviens d’un soir lointain du mois de mars, d’une nuit de débauche, d’une rencontre. Je me souviens d’une discussion troublante avec un étranger qui m’a touché de sa sagesse.

Il fut un temps où j’étais de blond et d’or, fils de feu au service de la nuit, un magicien solaire éveillé et puissant. Entrainé sur ma route obscure avec trop d’élan pour m’arrêter avant de me consumer, je m’enlignais droit vers un futur incertain. Né d’Osiris j’ai choisis d’embrasser les chemins de Seth mais avant d’être livré aux mâchoires de l’oubli je sus m’extirper au destin. Tel le phénix j’ai orchestré ma mort pour renaître avec une force renouvelée, abandonnant derrière les restes de ma coquille, mon passé. Je suis revenu de la nuit pour avancer vers l’astre de flammes, recréé, reconstruit.

Durant des années je me suis reforgé une vie, allongeant toujours les pas entre ce que je suis et ce que je fus. J’ai avancé jusqu’à retrouver ma piste et nouer la boucle éternelle.

Ais-je réellement rencontré, adolescent, cette facette assagie de mon futur? Suis-je réellement devenu celui que j’ai alors perçu? Est-il envisageable qu’en ce vendredi soir de ma vie adulte j’ai su chevaucher le dragon du possible et toucher le temps d’un respire cette manifestation de mon passé? Était-ce moi? Était-ce mon esprit juvénile figé au seuil du point culminent de sa chute l’extrême? Je l’ignore mais une certitude perdure en moi. Après tout ce temps j’ai enfin trouvé mon équilibre. Je ne suis le serviteur de la Lune ou du Soleil. Mes blasons ensanglantés resteront là, à mes pieds. Je n’ai plus besoin d’eux. Cette bataille n’est plus la mienne. Je suis le Chevalier de l’Aube, le messager d’un cycle nouveau.




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